Par Gérard Dastugue
www.traxzone.com / June 2002


Michel Colombier "Dreams". Michel Colombier rêve. Mais de quoi peut bien rêver un compositeur qui a tout fait ? Il est permis de se poser la question à l'écoute de cette compilation retraçant 35 ans de carrière, depuis ses jerks électroniques avec Pierre Henry ou ses arrangements pour Gainsbourg jusqu'à l'électro-jungle de LARGO WINCH, sans oublier les thèmes cultes de L'HERITIER, UNE CHAMBRE EN VILLE ou encore GOLDEN CHILD. Car Michel Colombier peut se targuer d'être l'un des premiers arrangeurs et compositeurs français à avoir réussi son expatriation aux Etats-Unis, annoncée dès 1971 par le triomphe de son mythique album WINGS qui allait lui ouvrir les portes du monde de la chanson, du ballet, et du cinéma.
Alors qu'il vient de terminer l'enregistrement du score de SWEPT AWAY, le dernier film de Guy Ritchie avec Madonna ainsi que les arrangements de cordes sur la chanson-titre du nouveau James Bond, il nous a accordé de son précieux temps pour retracer avec nous une carrière des plus atypique. Alternatif et continu, c'est bien le courant éclectique qui le fait avancer.

Pourquoi cette compilation et pourquoi aujourd'hui ?
Je dois avouer que je ne suis pas à l'origine de cette compilation, j'en suis plutôt le témoin. C'est une idée de Stéphane Lerouge, peut-être de connivence avec Jean Davoust, mon éditeur. Au départ, je n'étais pas sûr de ce que cela pouvait représenter : faire une anthologie en un seul CD alors que j'ai fait tellement de choses ! Pour Stéphane – qui a choisi les morceaux - le concept de ce premier volet était plutôt un survol de 35 ans de travail.

Mais pourquoi maintenant, je ne peux pas vous répondre ! (rires) Je crois que c'est l'apanage de vieillir. Tout à coup, les gens s'intéressent au passé… Moi, je suis plutôt fasciné par le présent. C'était d'ailleurs un exercice de style assez intéressant de réécouter des choses qui datent de 30 ou 35 ans.


Ce survol donne une compilation assez hétéroclite de par la diversité des influences musicales dont vous semblez vous abreuver. Pourtant transparaît un univers très cohérent…
Cela vient toujours du cœur. Cela n'a jamais été de brèves liaisons, mais plutôt de grands coups de cœurs qui ont duré. Mon éveil à la musique est antérieur au fait même de savoir ce que c'était. J'ai pour mémoire ma mère disant que lorsque j'entendais de la musique de Bach à la radio - j'avais peut-être 2 ans - je pleurais à chaudes larmes et lorsqu'elle me demandait pourquoi je pleurais, je répondais "parce que c'est beau". C'est une histoire d'amour qui ne se terminera pas.

Quelques années après, j'ai découvert le jazz, sans que cela me fasse me détacher de la musique classique. Je ne vois pas vraiment de différences en musique dans la façon de s'exprimer, que ce soit baroque, romantique, électro-acoustique, jazz, blues, tango, rock… Cela a toujours été ma façon spontanée et innée d'appréhender, de comprendre et d'aimer la musique, alors qu'il y a beaucoup de personnes qui ont un amour bien déterminé pour un objet particulier. Je crois que mon jardin personnel est plus un jardin à l'anglaise qu'un parc à la française avec des allées bien droites et du petit gravier. Je n'aurais jamais pu abandonner un aspect de la musique ou un moyen d'expression musicale pour un autre. Pour moi, ces aspects sont bien vivants, et ils vivent et jouent ensemble.

Mon album WINGS en est un bon exemple. Quand j'ai commencé d'écrire, je n'avais absolument pas de plan, j'ai juste laissé l'inspiration courir et les choses sont venues, un peu comme un puzzle. Et il s'est trouvé que grâce à la merveilleuse générosité de Herb Alpert - le producteur qui m'a donné carte blanche, sans limite de budget - j'ai pu avoir un orchestre extraordinaire en qualité et en taille, avec des chœurs…


Vous préférez finalement les contours flous et les chemins de traverse…
Disons que j'aime bien la coexistence de tout. Dans l'album OLD FOOL BACK ON EARTH, j'avais composé un morceau pour Ernie Watts que j'ai enregistré avec le London Symphony Orchestra. Quand je suis revenu de Londres avec les bandes et que j'ai mis les musiciens de jazz américains dessus, ceux-ci ont voulu s'adapter à la façon classique de jouer, et j'ai dû leur expliquer qu'il n'était pas question que les jazzmen enfilent soudain un smoking et jouent comme les musiciens du Symphonique. Il est question de cohabitation. Tout comme l'orchestre symphonique doit jouer en tant qu'orchestre symphonique sans chercher à devenir autre chose. Il faut que les identités cohabitent avec beaucoup d'amour et de compassion l'une pour l'autre, mais pas dans le mépris et la froideur. La musique est vivante !

Est-ce justement par goût pour une musique vivante que l'on retrouve votre carrière jalonnée d'avant-gardisme ?
Il faut qu'il y ait une prédisposition à certaines choses. J'étais très lié à Georges Delerue - quand il s'est installé à Los Angeles, on se voyait beaucoup - mais il n'était absolument pas attiré par tout ce qui était électronique, alors que cela m'a toujours intéressé.

J'ai été l'assistant de Michel Magne, connu pour avoir fait des choses d'avant-garde : il avait inventé le cymbalum englobant, il avait fait des concerts avec des canons à ultrasons… Il était tout le temps en train de faire des choses marrantes, il ne se prenait pas au sérieux mais il aimait aussi beaucoup ce qui venait du cœur en même temps que la recherche. Je l'ai rencontré après mon service militaire, j'étais à Paris sans le sou, et un copain me téléphone pour me dire qu'on cherchait un pianiste répétiteur à l'Olympia pour le prochain spectacle de Magne. Comme c'était le mois d'août et que tout le monde était en vacances, j'étais fou de joie ! (rires) Je me suis présenté à l'Olympia, Magne m'a demandé si je savais faire des arrangements, je lui ai dit oui. J'ai donc fait les arrangements pour le spectacle puis il m'a demandé si je voulais faire les arrangements sur les films qu'il avait à faire. À partir de ce moment-là, on ne s'est plus quitté, puisque je suis devenu son nègre.

J'ai travaillé avec Magne jusqu'en juin de l'année d'après où il m'a présenté à Eddie Barclay. Je l'avais déjà rencontré plusieurs fois avec lui, mais comme j'étais le nègre, je restais dans l'ombre. Il m'a présenté officiellement : "Il travaille avec moi depuis un an, il est formidable, il faut absolument que tu le prennes !" Barclay - peut-être parce qu avait une grande confiance en Magne - a dit d'accord. Et j'ai été engagé sur-le-champ comme directeur musical des disques Barclay. J'avais 22 ans, et je n'avais aucune idée de ce que "directeur musical" voulait dire ! J'ai commencé avec le premier disque en anglais de Charles Aznavour pour Mercury, qui sortait aux Etats-Unis, et c'est là que j'ai rencontré Quincy Jones qui était venu des Etats-Unis pour superviser. Je pense que toutes ces rencontres sont merveilleusement manigancées par la providence.


L'influence américaine était déjà présente, d'autant plus que vos premiers films importants étaient des polars signés de cinéastes nourris de cinéphilie américaine : Melville, Sautet, Labro. Ce n'est pas un hasard finalement…
Vous avez raison, ces choses-là étaient déjà embryonnaires. Le tout premier film sur lequel j'ai travaillé avec Magne, c'était un film de Gene Kelly, GIGOT, avec Jackie Gleason. Gleason, qui était musicien, avait composé les thèmes du film et Magne avait été engagé par les Américains pour faire les orchestrations. Comme le film s'était tourné à Paris, toute la post-production se passait aux Studios de Boulogne-Billancourt. On était avec un orchestre symphonique pratiquement tous les jours pendant deux semaines. Gene Kelly nous donnait des indications bien précises : il chantait et décrivait ce qu'il voulait, c'était assez marrant d'ailleurs. J'écoutais tout ce qu'il disait, je rentrais vite à la maison et j'écrivais selon ses directives. Je ne sais pas si Kelly se doutait que c'était moi qui faisais les orchestrations en réalité, mais c'était Magne qui avait le boulot. J'ai donc appris sur le tas, très vite. Mon tout premier boulot a donc été pour un film américain sans que mon nom n'apparaisse nulle part. Parce que j'étais le nègre de Magne, mon nom ne devait pas apparaître.

Puis en 1968, j'ai rencontré Petula Clark. On a fait une pub ensemble - j'en faisais pas mal à l'époque pour Europe 1 - et de fil en aiguille, j'ai fait des orchestrations pour elle. Fin 1968, son mari Claude Wolf m'a dit qu'elle avait un show à Los Angeles et qu'elle aimerait beaucoup que je vienne pour écrire des chansons, faire des arrangements, diriger l'orchestre. C'est comme cela que je suis parti aux Etats-Unis pour la première fois.


Vous rencontrez alors Herb Alpert et naît l'album WINGS…
Oui, c'est Petula qui m'a présenté à Herb Alpert. Avec cet instinct féminin que personne ne peut nier, elle m'a dit "Il faut absolument que tu rencontres Herb, je suis sûre que vous allez vous entendre comme larrons en foire !" Et, chose incroyable, plus de 30 ans après, on est toujours les meilleurs amis du monde. On se voit tout le temps, je me suis marié en 1990 dans sa maison, il est le parrain de nos deux filles… C'est incroyable qu'en nous connaissant individuellement, elle ait pu sentir qu'on deviendrait de très grands amis !


Après WINGS, vous rentrez en France, et Jean-Pierre Melville vous contacte pour UN FLIC…
Je suis rentré des Etats-Unis avec WINGS, mais je ne sais pas pourquoi Melville m'a appelé. Le disque n'était pas encore sorti, j'avais une bande, j'ai amené mon Revox avec moi parce qu'il n'avait pas de lecteur. Il a écouté WINGS sans dire un mot, du début à la fin, et il m'a dit [Michel Colombier imite Jean-Pierre Melville - NDLR] : "C'est remarquable ! Dans le sens étymologique du mot, c'est remarquable !" (rires). On a fait UN FLIC et puis il m'a dit "Il y a ce petit qui vient toujours me demander des conseils, il va vous appeler. Je lui ai dis qu'il fallait qu'il fasse son film avec vous !" C'était Philippe Labro ! Avec Labro, on a fait trois films coup sur coup. Il était très influencé par Melville. Quand on s'est rencontré, il m'a dit : "J'ai fait mon premier film avec Morricone, mais comme Melville m'a dit de travailler avec vous, je le fais avec vous !" L'HERITIER était un film complètement américain, très inspiré d’un personnage à la John F. Kennedy.


Les thèmes que vous avez composés pour L'HERITIER et L'ALPAGUEUR sont d'ailleurs des "thèmes cultes" !
Je ne m'en rends pas bien compte parce que je suis parti de France il y a très longtemps. J'ai un website et je reçois souvent des mails de gens des quatre coins du monde. J'en ai reçu un de Russie qui me disait que L'ALPAGUEUR était sa musique de film préférée ! Il est d'ailleurs possible que cela ressorte, dans la continuité de cette anthologie, tout comme WINGS qui ressort d'ailleurs.

L'anthologie devrait porter sur les choses qui ne sont pas sorties : film scores, ballets, chansons avec Barbra Streisand, Gainsbourg, Earth Wind and Fire, Barbara, etc. C'est pour cela que ce premier volet ne peut qu'effleurer : il y a un ballet avec "le Jeune Homme et la Mort", ou "Psyché Rock", des chansons avec "Elisa" ou celle que j'ai faite avec Charles Aznavour pour Isabelle Aubret, le "Toulouse to Win" de Claude Nougaro… C'est un bon survol avec des choses électroniques, des choses symphoniques…

Disons que je fais ce qui m'attire. Quand j'ai fait WINGS, j'ai eu tout à coup cette inspiration d'une musique très pure avec ce solo de hautbois. J'ai perdu un de mes fils à l'âge de 5 ans, j'ai donc dédié le morceau à sa mémoire, et il porte son nom : Emmanuel. Folon en est tombé complètement amoureux il a voulu s'en servir lorsqu'il a fait le générique d'Antenne 2. Ca a touché énormément de gens mais 99% doivent ignorer que cela provient du disque WINGS !


Et Folon signe la très belle pochette de votre compilation !
Oui. La première fois que je l'ai vue, j'ai trouvé çà touchant, comme si Jean-Michel disait que de mes doigts sortent les rêves, parce que je compose au piano et au clavier. Encore plus que la main, l'extrémité des doigts est importante parce qu'elle est en contact avec les touches. C'est du moins ce que j'ai ressenti.


Vous avez travaillé pour le cinéma, le ballet, la chanson. Comment voyez-vous le rapport de la musique à une dramaturgie ?
Dans les albums instrumentaux comme WINGS ou OLD FOOL BACK ON EARTH, il y a toujours des histoires, mais elles n'apparaissent qu'après. Ce n'est toujours qu'a posteriori que les choses se révèlent. Quand Gainsbourg écrivait, par exemple, les textes venaient toujours en premier. Et une fois qu'il avait son texte, les notes en découlaient. Pour moi, les notes viennent normalement en premier et je ne vois les images qu'après. Alors que dans le contexte d'un film, je suis au service de l'histoire et de la vision du metteur en scène. Dans un ballet, s'il n'y a pas d'histoire - car cela peut parfois être abstrait - je suis au service de la vision du chorégraphe.

Au cinéma, on me donne généralement un film monté de manière quasi définitive, avec souvent des "temp musics". Quand je vois le film, qu'il ait de la musique ou qu'il n'en ait pas, je reçois quelque chose. Je reçois une émotion, je suis horrifié, je suis séduit. Je pars de çà et je m'en nourris. J'ai des conversations avec le metteur en scène : s'il est satisfait de la temp music, cela vaut toutes les conversations du monde car c'est très explicite ; sinon, il me décrit ce qu'il recherche. Donc, je suis là pour servir la vision du metteur en scène. Je prends mes directives à partir du rythme du film, des émotions, de la lumière, du jeu des acteurs… Toutes ces choses, de manière subtile, me sont révélées pendant que je regarde le film. Et je vais commencer à entendre soit des mélodies, soit des sons. Je commence à faire une collection d'impressions qui, une fois accumulées, deviennent un score.


Votre rapport à l'image a-t-il évolué entre la France et les Etats-Unis ?
Il ne faut pas perdre de vue que ce sont des cultures complètement différentes. Chaque fois que j'ai travaillé avec les français, ça a toujours été quelque chose de spontané, "à la bonne franquette". Avec les américains, tout est généralement plus organisé. Je dois avouer qu'être un étranger installé à Los Angeles fait que la plupart du temps les gens n'attendent pas de moi que je fasse comme les autres compositeurs américains. En général, ils viennent vers moi pour ce que je peux leur apporter.


Il est vrai que vous avez aux Etats-Unis un parcours atypique, pour preuve votre travail dans le cinéma black américain avec des réalisateurs comme Mario Van Peebles ou Bill Duke…
Je dois dire que j'ai toujours eu un rapport très simple et très naturel avec les noirs. Ma femme - qui est américaine - pense que c'est parce que je ne suis pas un américain. Cela permet aux noirs américains de ne pas avoir ce "bagage" en termes psychologiques, qui existe de façon innée parce que c'est un pays profondément raciste, sauf si vous vous trouvez dans des endroits exceptionnellement évolués comme le show business à Los Angeles.

Il y a aussi une affinité au niveau des rythmes. Mes amis américains m'appellent "The Funky Frenchman" et les percussionnistes, les batteurs, les bassistes, les guitaristes qui travaillent avec moi trouvent que je suis très funky ! (rires) A l'époque où j'ai fini OLD FOOL BACK ON EARTH, j'ai reçu un coup de fil de Maurice White, le leader de Earth Wind & Fire, qui est tombé en arrêt dessus et m'a demandé de faire 2 ou 3 chansons pour l'album suivant du groupe. De fil en aiguille, il m'a demandé d'écrire une chanson pour Barbra Streisand dont il produisait un album. Et un jour, il m'a appelé en me disant "Mon manager est aussi le manager de Prince. Prince vient de faire un film, il a fait toutes les chansons. Il voulait faire le score mais il est très déçu parce qu'il se rend compte que ça ne colle pas bien… Est-ce que cela t'intéresse de voir le film ?" J'ai donc vu PURPLE RAIN, et je l'ai fait. Je crois que cela a été un peu comme une carte de visite vis-à-vis des noirs.

Un jour, Gary LeMel de chez Warner Brothers m'appelle : "On fait un film qui s'appelle NEW JACK CITY. Ils avaient engagé au départ Wally Badarou mais pour diverses raisons, çà ne colle pas, et je pense que Wally va quitter. Il faut qu'on l'ait fini dans un mois.". J'ai vu le film et je l'ai trouvé vraiment bien. J'ai ensuite déjeuné avec les producteurs et ils ne cessaient de me parler de PURPLE RAIN ! Pour eux, c'était comme un classique ! Et je me suis très bien entendu avec Mario Van Peebles, il a beaucoup du se battre pour me faire accepter parce que le film était entièrement fait par des noirs. Il m'a ensuite demandé de faire POSSE.

Quant à Bill Duke, il avait vu un film de télévision dont j'avais fait la musique qui s'appelait FEVER. Quand il a eu un rendez-vous avec le music supervisor, il lui a jeté la cassette video du film en lui disant : "I want the guy who did the score for that one !" (rires) Ce n'était pourtant pas un film noir. Et au niveau sensibilité, je me souviens que lorsqu'on s'est rencontré avec Bill pour DEEP COVER, il m'a parlé de Coltrane entre autres, et tout à coup, on avait tellement de choses en commun !


Vous parliez de funky, le thème de GOLDEN CHILD l'est totalement ! On retrouve quasiment le même motif aux cuivres l'année suivante dans le score de Danny Elfman pour MIDNIGHT RUN…
J'ai adoré ce film mais cela ne m'a pas frappé. Peut-être ont-ils utilisé la musique de GOLDEN CHILD en temp music. Si la temp music colle vraiment bien, vous êtes obligés de l'examiner, de vous demander ce qui colle dedans : soit c'est la mélodie qui est lancinante ou les accords qui sont d'une certaine façon, ou l'orchestration, ou le groove… Si vous vous rendez compte qu'il y a beaucoup d'éléments qui collent dedans, vous êtes obligés de les garder. Tout dépend de votre habilité et de votre capacité à récupérer votre personnalité… Quand on me donne une temp music qui colle très bien, je prends tous les éléments qui m'intéressent dedans, et je me fais un "score en blanc", c'est-à-dire que je prends métronomiquement tout ce qui se passe ; ensuite, quand il font une temp music, un monteur très adroit va faire des coupes en passant d'un morceau de Hans Zimmer à un morceau de James Newton Howard à un morceau de Morricone… Ces coupes vont amener tous les changements d'atmosphère dont il a besoin pour la scène. Cela créé parfois des mesures bancales à 9/8, 7/16, plein de 4/4 puis tout à coup un 5/8…

Sans temp music au départ, on n'aurait pas nécessairement conçu le morceau de cette façon-là, mais le fait d'avoir une temp music qui a été complètement trafiquée et coupée dans tous les sens, parfois avec des superpositions de morceaux… Moi, çà m'excite comme un fou ! (rires) Il faut d'abord avoir la carcasse métrique, puis noter les changements de tonalité intéressants : si en sautant d'un score de Pierre à un score de Paul, il y a une modulation tout à fait inouïe, je note par exemple qu'on est passé de do mineur à fa dièse… Une fois que j'ai ces données, je cherche mes thèmes, je les mets là où ils doivent apparaître et je fais mon orchestration en fonction des choses qui m'ont excité dans la temp music. Peut-être s'est-il agit de la même chose pour Danny Elfman.

Je crois que le thème de GOLDEN CHILD est assez connu en France parce qu'une émission de sport l'utilisait en guise d'indicatif [TéléFoot – NDLR]. Je n'ai jamais vu cette émission, ce sont des amis qui me l'ont dit.


On ne peut pas oublier votre travail sur UNE CHAMBRE EN VILLE de Jacques Demy. Le film reste dans les mémoires autant pour la polémique qu'il a suscité* que pour la musique qui en fait un véritable opéra. Quelle a été la genèse de cette partition ?
Jacques Demy a toujours collaboré avec Michel Legrand. Mais lorsque Jacques a donné l'histoire - basée sur la vie de son père - à Michel, ce dernier n'a absolument pas aimé l'histoire, et donc n'a pas voulu le faire, ce qui a beaucoup chagriné Jacques qui tenait vraiment à ce film. Jacques a donc cherché qui pourrait remplacer son compagnon de toujours - ce sont ses mots - et il s'est mis à examiner la production française. Je ne sais pas ce qu'il a vu de moi à l'époque, mais il m'a appelé en me demandant si çà m'intéressait. Je lui ai dit "Bien sûr", il m'a envoyé le scénario qui m'a enthousiasmé et j'ai commencé. Comme je n'avais jamais travaillé avec Jacques et qu'il était tellement habitué à Michel, je lui ai dit "Je vais m'inspirer de l'histoire et des caractères, je vais te mettre sur cassettes toutes les inspirations que j'aurai qui me semblent d'une façon ou d'une autre provenir d' UNE CHAMBRE EN VILLE". Je lui ai donc envoyé des cassettes de thèmes et Jacques m'a appelé après la première cassette en me disant : "Le thème n°4 va à la page 27, dans la scène entre Violette et François" alors que je n'avais absolument pas écrit sur les mots ! Et il s'est mis à me chanter ses mots sur mes notes pendant qu'il jouait ma cassette à l'autre bout ! Et il n'y avait pratiquement rien à changer ! Toute notre collaboration s'est faite comme çà, d'une façon tout à fait divine.

Jean Davoust est en pourparlers avec Trema pour que çà ressorte en CD. Il y a beaucoup de gens qui ont très envie que cela ressorte, à commencer par Agnès Varda et moi ! (rires) C'était une très belle aventure. Jacques et moi avons été très liés pendant cette période.


LARGO WINCH, l'extrait le plus récent de cette compilation, peut apparaître comme un retour en Europe…
En quelque sorte, oui. La genèse est très drôle : dans l'école où vont mes filles, beaucoup de parents travaillent dans l'industrie du cinéma, ce qui est un peu inévitable quand on habite à Los Angeles ! (rires) Un des parents d'élèves est venu voir un jour le ballet MANDALA que j'avais fait avec Daniel Ezralow. Quelques temps après, ce monsieur qui est un des producteurs de la Paramount me dit : "Un projet de feuilleton télé est en train de se monter et j'aimerais beaucoup que ce soit toi qui fasses la musique"… Six mois passent, je me retrouve à Londres en train de faire l'arrangement pour cordes de la chanson "Don't Tell me" pour Mirwaïs et Madonna, et Mirwaïs me présente son producteur Frédéric Rebet qui me dit : "Vous savez, on parle beaucoup de vous en ce moment parce qu'il y a un projet de télévision sur la bande dessinée LARGO WINCH. M6 aimerait beaucoup quelque chose dans le genre Massive Attack, mais ils pensent aussi à Eric Serra. Paramount par contre veut que ce soit vous qui fassiez le score". Quand j'ai entendu Paramount, j'ai fait le rapprochement… Trois mois plus tard, Frédéric me téléphone : "Les choses se précipitent. M6 est d'accord pour que vous fassiez le score mais ils veulent Serra pour le générique". Ils ont fixé une date à Serra mais comme apparemment il était sur un projet en Angleterre, il n'a pas pu le faire. La production commençait à s'inquiéter et j'ai dit à Frédéric "Par expérience, je sais que dans la musique, il y a toujours un thème qui ressort et qui pourra devenir le thème du générique". Et comme tout le monde chantait le thème de Largo, j'en ai fait une version générique.


Après une carrière aussi éclectique, de quoi rêve Michel Colombier aujourd'hui ?
En tant que compositeur, mon désir est tout simplement de continuer d'écrire. Grâce à Dieu, j'ai mon propre studio, ce qui me donne cette liberté totale avec l'électronique de pouvoir créer ce dont j'ai besoin, que j'ai un budget ou que je n'en ai pas !

Je viens d'écrire une pièce d'une quinzaine de minutes que j'ai faite avec mon vieux copain Herb Alpert. On ne sait pas encore ce que l'on va en faire d'ailleurs. Ca peut être l'idée d'un film ou d'un ballet, je vais l'envoyer à Twyla Tharp qui est une vieille complice. Je pars dans quelques jours à Londres parce que je vais refaire avec Mirwaïs des choses pour Madonna : on va enregistrer la chanson "Can't You See My Mind ?" sur laquelle je fais des arrangements pour cordes et qui sera la chanson-titre du prochain James Bond. Et je dois aussi faire quelque chose sur une des chansons du nouvel album que fait Mirwaïs avec elle, mais qui ne devrait pas sortir avant l'automne.

Bobby McFerrin, qui est un fan de WINGS, veut que je lui écrive une pièce spéciale de concert, ce que je vais faire d'ailleurs, et il veut monter et diriger WINGS sur scène avec moi ! J'ai un projet de comédie musicale que j'ai démarré avec Daniel Ezralow pour Broadway, et aussi un projet de ballet avec Barychnikov basé sur la musique d' "Emmanuel" justement, parce que c'est une de ses musiques préférées. Cela devrait donner une pièce d'une quinzaine de minutes. J'ai pensé que ce ne serait pas inintéressant de remplacer le hautbois de "Emmanuel" par la voix de Bobby McFerrin, puisqu'il imite tellement bien les instruments. Il y a aussi des projets que j'ai depuis longtemps, des choses que je n'ai jamais finies ou que j'ai écrites mais que je n'ai jamais enregistrées… Tout dépend où le vent me mènera.

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Propos recueillis par Gérard Dastugue

Remerciements particuliers à: Michel Colombier, Stéphane Lerouge ainsi qu'à Pierre Dujardin et Laurent Perret.
Photo Michel Colmbier: Eric Dahan

Visitez le (très bon) site officiel de Michel Colombier : http://www.michelcolombier.com

* Sorti sur les écrans le même jour qu'une CHAMBRE EN VILLE, le film de Gérard Oury L'AS DES AS avec Jean-Paul Belmondo établit un record avec 72000 entrées sur Paris le premier jour. Un triomphe public qui déplaira aux critiques qui, une fois n'est pas coutume, plébiscitent le film de Demy. Une longue polémique en attaque-riposte s'installera par voie de presse, les critiques accusant L'AS DES AS, par son formatage commercial, de voler le public d'UNE CHAMBRE EN VILLE.

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