Michel Colombier, compositeur, arrangeur et
orchestrateur
LE MONDE | 18.11.04
ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 19.11.04
Par Bruno Lesprit
Le musicien Michel Colombier est mort d'un cancer, à Santa Monica (Californie), dimanche 14
novembre. Il était âgé de 65 ans.
Moins d'un an après François Rauber, c'est un des plus talentueux arrangeurs et orchestrateurs
français qui disparaît. Comme tous les gens de ce métier, Michel Colombier était un homme de
l'ombre, masqué par les deux artistes auxquels son nom aura été le plus souvent associé, Barbara
et Serge Gainsbourg. La notoriété lui importait peu, la reconnaissance professionnelle suffisait.
Ignoré du grand public, Michel Colombier a pourtant composé des thèmes qui restent dans l'oreille
de chacun grâce à leur exploitation commerciale : le jingle de "Salut les copains" et surtout la
ligne mélancolique au hautbois d'Emmanuel. Cet air, dédié à la mémoire d'un fils disparu dans sa
cinquième année, fut popularisé par un générique d'Antenne 2, celui animé par son ami Jean-Michel
Folon.
Né le 23 mai 1939 à Lyon, Michel Colombier avait reçu, enfant, une solide formation classique
(piano, harmonie et contrepoint) d'un père musicien, avant que le conflit des générations ne
prenne le dessus. L'adolescent est en effet happé par le be-bop et le souffle de John Coltrane.
Les discussions qu'il a avec son père provoqueront chez lui un refus absolu de hiérarchiser les
genres et, plus encore, de les cloisonner. Attitude que radicalisera sans doute son renvoi, après
deux années frondeuses, du Conservatoire national supérieur de musique de Paris.
DE BARBARA À MADONNA
Cet échec signera son originalité. Toute sa vie, Michel Colombier se plaira à mêler à des
éléments symphoniques, des percussions et des rythmes afro-américains, des bizarreries
électroniques. En 1961, il rencontre en effet le compositeur Michel Magne. L'auteur, entre autres
de la musique de Fantômas et d'un très grand nombre de partitions loufoques pour des nanars,
l'attire vers les expérimentations et en fait, selon Colombier, son "nègre". Puis Magne le
recommande à Eddy Barclay, qui le nomme, à 22 ans, directeur musical de sa maison de disques.
Ce poste l'amène à travailler pour les variétés, d'abord avec Charles Aznavour. La rencontre
déterminante sera celle de Serge Gainsbourg. De 1966 à 1970, les deux compères livrent une
comédie musicale (Anna, avec Sous le soleil exactement), des musiques de films (Cannabis et
Mister Freedom, de William Klein) et, bien sûr, des chansons inoubliables. Dans un registre
dramatique, Colombier est responsable de l'orchestration de Manon et, pour le versant érotique,
de celle de la première version de Je t'aime moi non plus (avec les râles de Brigitte Bardot).
Minimaliste, il trouve le beat visionnaire de Requiem pour un con et invente pratiquement le rap
sans le savoir. Si Elisa a été cosignée, il est probable que Colombier n'a pas été crédité à
hauteur de sa participation aux œuvres de Gainsbourg.
A ce sujet, il collabore en 1967 avec Pierre Henry pour la Messe pour le temps présent, de
Maurice Béjart. Son nom n'apparaît pas sur le premier pressage du disque alors qu'il est l'auteur
des fameux jerks électroniques (notamment Psyché Rock). L'oubli sera réparé. Année du partenariat
avec Gainsbourg, 1966 est aussi le début de la collaboration avec Barbara, pour ce qui restera
sans doute comme les meilleures années de la chanteuse : La Dame brune, Mon enfance ou L'Aigle
noir, avec l'envol de l'oiseau figuré par le charleston de la batterie. En 1969, Colombier dirige
les opérations musicales pour les récitals de Barbara à l'Olympia. Ils se retrouveront dans les
années 1980 (Fragson, Seule), après le départ définitif du musicien pour les Etats-Unis, en 1975.
C'est grâce à Petula Clark, dont il orchestre également les sucreries, que débute son aventure
américaine. La chanteuse lui présente le trompettiste Herp Albert, patron de la maison de disques
A & M. Ce sera le début d'une indéfectible amitié aussitôt nouée par un contrat qui permet à
Colombier d'enregistrer Wings (1971), un oratorio pop associant un orchestre rock, celui de
l'Opéra de Paris et une section de cordes électriques dirigées par Jean-Luc Ponty. Entre
Hollywood et Paris, Michel Colombier travaille de plus en plus pour le cinéma. Avec Jean-Pierre
Melville (Un flic, 1971) et Jacques Demy (Une chambre en ville, 1982) de ce côté-ci de
l'Atlantique, et là-bas pour Prince (Purple Rain, 1984). Colombier a depuis longtemps gagné le
respect des musiciens américains, qu'il s'agisse de Earth, Wind & Fire ou de Madonna - on lui
doit les cordes du dernier album en date de la Ciccone, American Life.
Curieux, Michel Colombier s'intéressait aux nouvelles générations. Il avait offert ses services
au duo versaillais Air et, tout récemment, au groupe pop irlandais The Thrills, pour un album à
paraître en janvier 2005. Parallèlement, il n'avait jamais cessé de composer des œuvres
symphoniques ou de chambre - il venait de terminer un concerto pour deux pianos et orchestre à
l'attention de Katia et Marielle Labèque. Il avait enfin pu assouvir sa seconde passion, la danse,
en offrant des partitions à Mikhaïl Baryshnikov, Twyla Tharp ou Jean Babilée.
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