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Liner notes by Stéphane
Lerouge
Soyons honnêtes : il n’est pas facile de me définir, de me coller une
étiquette. Je ne suis pas complètement un homme de jazz, ni de rock, ni de
classique mais un peu tout à la fois. Un amoureux de tous les visages de
la musique, un idéaliste qui essaye d’abolir les frontières, de susciter
des rencontres entre des mondes qui, à priori, ne devraient pas se
télescoper. Pour mon père, il existait un mur de Berlin entre la “vraie
musique”, en clair le répertoire classique, et le reste, qu’il méprisait.
Moi, au contraire, séduit par toutes les expressions du langage musical,
j’ai toujours essayé de créer des passerelles, d’organiser des fusions
entre toutes les musiques qui m’ont touché et nourri.” C’est en ces termes
que Michel Colombier résume sa démarche, celle d’un passeur, d’un agent
double (triple ?) de la création musicale. Un statut volontiers en retrait,
une modestie bordurant la timidité font parfois oublier son apport
déterminant, comme orchestrateur ou co-compositeur, à des oeuvres-clés de
Pierre Henry, Michel Magne ou Serge Gainsbourg. Les plus brillants joyaux
de notre patrimoine pop (Requiem pour un con, Psyché rock) n’auraient pas
le même éclat sans la haute-sophistication de son écriture rythmique et
orchestrale. Et pourtant, la discrétion est une posture qui a toujours
convenu à Colombier. “J'ai souvent été comme Cyrano dans la scène du
balcon, résume-t-il. Par exemple, dans les années soixante, tout le monde
connaissait les indicatifs de Dim dam dom ou Salut les copains ! mais sans
savoir que j’en étais l’auteur. Ca ne m’a jamais tracassé : pour un
compositeur, l’essentiel est d’écrire.”
En 1969, Michel Colombier découvre les Etats-Unis, dans le sillage de
Petula Clark qu’il doit accompagner pour un show télévisé. La pétulante
Britannique lui présente le trompettiste Herb Alpert, prince du tijuana et
fondateur du label A&M. Colombier lui fait écouter ses musiques de films,
plus son 33 tours Capot Pointu. “Herb a aussitôt accroché au côté
classique de mon écriture, mélangé à des rythmiques modernes, jazz ou
rock, se souvient le compositeur. Pour un Américain, c'était iconoclaste.
Sa seule question a été : “As-tu envie de continuer ce travail à grande
échelle ?” Autrement dit, il m’a proposé un contrat d’artiste sur A&M, qui
a abouti à l’album Wings. Quand on a abordé la question du budget, Herb
s’est exclamé : “Je ne veux pas de limite, surtout financière. Michel doit
se sentir libre d’aller où son inspiration l’emporte !" (rires) Quel
magnifique cadeau !” Salué comme la “première symphonie pop", Wings impose
la signature de Colombier à dimension internationale. L’un de ses
thèmes-blasons, Emmanuel, poignante élégie pour hautbois et orchestre,
devient l’indicatif d’Antenne 2, pour l’ouverture et la clôture de ses
programmes. Guidés par la musique de Colombier, les bonhommes volants de
Folon s’envolent vers un ailleurs crépusculaire. Comme une métaphore de
l’exil... Un jour de 1975, leur compositeur largue les amarres. Au
printemps, je suis revenu à Los Angeles pour honorer une commande. Ca
devait durer quinze jours : j’y suis toujours aujourd'hui...”
Là-bas, éternel funambule, Colombier enregistre de nouveaux albums (Michel
Colombier / Chrysalis, Old fool back on earth), compose pour le ballet, la
télévision, le cinéma, rencontre des metteurs en scène comme Taylor
Hackford ou Dennis Hopper auprès des-quels il retrouve la complicité qui
le liait jadis à Melville ou Labro. Se doute-t-il seulement du culte
galopant qu’il suscite de l’autre côté de l’Atlantique ? Imagine-t-il
l’aura de classiques de la modernité comme Psyché rock ou Requiem, sans
cesse redécouverts par de nouvelles générations ? Il en prendra conscience
par bribes, au hasard de rares et fugaces échappées parisiennes. Avec le
temps, l’originalité de son statut a pris sa place dans l’histoire de la
musique populaire. Longtemps vedette de l'ombre, Colombier entre sous les
feux d’une pleine reconnaissance. En 2001, quand les producteurs de Largo
Winch le sollicitent, c'est de manière référentielle. Comme un symbole, un
lien d'hier avec aujourd'hui.
Le moment était venu d'oser une anthologie, la première, pour tenter de
cerner les contours d'une oeuvre qui se dérobe à toute classification.
Mission acrobatique, forcément fondée sur le subjectif. On a finalement
décidé de tout brasser, de tout mélanger, sans tenir compte de la
chronologie, ni de la nature même des compositions : instrumentaux,
chansons, musiques de films, de ballets... D'éléments hétérogènes, éclatés,
Dreams constitue une même continuité, libre et fluide, courant sur
trente-cinq ans (pardon Michel) de vie musicale. Une sorte de puzzle géant
que les amis de Colombier ont enrichi de pièces surprises : Folon avec un
dessin original, Toots Thielemans avec une ver-sion inédite de Emmanuel,
où le phrasé d'un harmonica unique sonne comme un déchirement pour le
coeur. Sur le modèle des sculptures de César, voici Michel Colombier
compressé en soixante-quinze minutes, avec ce que cela suppose de choix et
parti-pris. Inutile de pétitionner en faveur des standards sacrifiés :
leur absence sous-entend une suite, un bis, un irrémédiable rappel. De
quoi écouter Dreams sans nostalgie : c'est un point de départ, un
raccourci du passé pour mieux rêver en avant.
Stéphane Lerouge |